Editions de La Pierre Verte

Tout sur l'Ecoquille

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Pour 450 euros et à 19 ans, JiPé a construit sa petite garçonnière !
 
On peut faire des maisons à tous les prix, de la luxueuse rénovation au gîte le plus humble, tous les acteurs de l'écoconstruction en France le savent bien.

On voit le maçon partir de son chantier en bleu à bord d'une camionnette et on se dit que les artisans, avec leurs mains caleuses, sont bien courageux pour le peu qu'ils gagnent, au point que depuis près d'un siècle il n'y a plus guère que des immigrés de première génération pour accepter de construire nos habitations, des Polonais aux Algériens, en passant par les Italiens et les Portugais. Et c'est vrai que les ouvriers du bâtiment sont pauvres.
 
Par contre, ce que l'on ne voit pas, ce sont les profits amassés en amont par les fabricants de matériaux et les grands entrepreneurs, avec la complicité de plusieurs secteurs économiques, le verre, le pétrole, l'assurance, etc. Les bénéfices des leaders du bâtiment sont considérables et permettent de s'offrir des chaînes de télé et des réseaux de téléphone ou bien, tout dernièrement, les autoroutes françaises. Comment voulez-vous que ces grands noms de notre économie se fassent autant de blé, si ce n'est sur notre dos ?

Pourtant, avec de l'astuce et de bonnes orientations dès le départ, une maison ordinaire devrait pouvoir passer sous les 1000 euros le mètre carré. Si l'on pousse la recherche au plus loin des concepts écologiques (moins de risques pour la santé, plus de confort, moins d'impact sur l'environnement, bioclimatisation, super isolation, recherche de toutes les économies possibles, à la construction comme à l'usage), on peut imaginer des maisons clés en mains à 1000 ou 1200 euros le mètre carré. Certains constructeurs y parviennent, et c'est vrai qu'à ce prix-là, ils ne roulent pas sur l'or. Non, ils sont au juste prix dans un monde qu'ils veulent plus équitable et qui n'engraisse ni les promoteurs, ni les propriétaires terriens, ni les banquiers, ni les fabricants de matériaux, ni les équipementiers, ni les architectes, ni les cimentiers, ni les bétonneurs, tous intéressés à ce que nous nous endettions le plus possible, sur toute une vie.

Avec de la débrouillardise et de l'énergie, on peut aussi tourner le dos au système et fabriquer son propre nid pour quelques centaines d'euros seulement. L'exemple qui suit nous vient de jeunes gens, peu portés sur l'apparence et le luxe, il est vrai. Il n'empêche : constuire à 19 ans une garçonnière pour 450 euros tout compris, voilà un extrême, un record, qui méritait d'être exposé ici et qui laisse beaucoup à réfléchir.
 
 
 
Jean-Philippe Hodé vit en famille près de Trans-sur-Erdre, en Loire-Atlantique. En 2003, à l'âge de 19 ans, il décide de constuire, avec trois de ses amis, une petite garçonnière, dans la prairie qui jouxte la maison de sa mère. Les jeunes gens souhaitent démontrer que bâtir quelque chose pour pas grand'chose n'est pas une utopie. Ils vont ainsi prouver qu'il est possible de marier écologie et économies, à condition de s'y connaître un peu.

Or justement, ces quatre garçons dans le vent de l'écoconstruction sont déjà compétents. Ils ont appris mille choses en fréquentant la maison des Baronnet, à une quinzaine de kilomètres de là. Les Baronnet ? Brigitte, Patrick et leurs enfants, installés depuis vingt ans dans leur maison autonome à Moisdon-la-Rivière, célèbres militants des solutions écologiques pour l'habitat, du compost à l'éolienne et des panneaux solaires à l'épuration naturelle, au travers de leur association Héol. Bénévoles actifs à chacun des écofestivals organisés à Moisdon, Jean-Philippe, "JiPé" pour les intimes, Marc et les deux autres n'ont peur de rien. Ils ont eu l'occasion de voir et de toucher de près les réalisations remarquables du couple Baronnet et de leurs réseaux et c'est juste qu'ils cherchent à faire encore mieux. La jeune génération à l'œuvre !

Donc une petite maison pour rien avec une seule recette : des jambes, des bras, de la ré-cu-pé-ra-tion (et un peu de chaux).

Jipé a repéré une grange ancienne dans les parages. Il propose au propriétaire de l'en débarrasser, une belle charpente de chêne qu'il entreprend de raccourcir et d'adapter aux dimensions de son projet. Jipé fréquente les brocantes, les dépôts, les scieries, les artisans du coin. Il rassemble sur son chantier les éléments nécessaires : fenêtres à double vitrage mais sans huisseries, grandes planches de châtaignier brutes, pierres et galets, tôles ondulées, palettes déclassées, pierres de seuil, tapis végétaux et, bien entendu et avant tout, des bottes de paille.

ImageEn effet, dans les premiers 2000, c'est la vogue montante pour la botte de paille dans les murs. Procédé excellemment écologique, la construction monomur en bottes ou ballots de paille apporte de nombreux avantages et d'abord celui d'une performance isolante de tout premier ordre. Non seulement le mur a une résistance thermique record (R>6), loin devant tous les blocs de construction connus, mais encore il respire, il "perspire" dit-on parfois, évitant à l'air intérieur de condenser, lui permettant de s'oxygéner, et même de s'assainir grâce à la bonne couche d'enduit de chaux aérienne intérieure. C'est le matériau idéal au plan écologique : il donne un surcroît de confort, respecte l'environnement et la santé, ne coûte que le temps que l'on y investit. Vivre dans une maison en bottes de paille est une sensation inconnue de la majorité d'entre nous. On ressent un confort étonnant, une climatisation naturelle très agréable, difficile à décrire avec des mots. Cette douceur du logis est permanente, hiver comme été, voilà la supériorité d'une isolation très renforcée.

Jipé et ses copains se mettent à l'œuvre début juillet, au début de leurs vacances d'étudiants. La première étape consiste à monter un mur de soutènement en pierre et chaux. À l'aide de grandes planches, l'affaire est bouclée en quelques jours. Ah oui, c'est assez lourd et il fait chaud. La consommation de bière augmente avec l'effort et c'est dans l'entrain et la bonne humeur que les fondations sont posées.

ImageÀ même le sol, sans terrassement, bien sûr. On obtient une sorte de bassin dont les jeunes bâtisseurs garnissent le fond d'un hérisson, sous-couche de graviers, puis d'une épaisse chape, mélange de copeaux (de récup' de scierie) et de chaux, un béton allégé végétal, quoi. Ainsi le sol est très bien isolé, lui aussi.

Ensuite, ils mettent en place l'ossature de bois taillée dans la vieille grange. Les morceaux en trop servent à la création de colombages intérieurs contre lesquels seront ensuite calées les bottes. Scier et clouer ne demandent ni dextérité ni connaissance particulière. Et à quatre, le travail avance vite et sans difficulté.

La partie haute de l'ossature, la charpente du toit, est simple à réaliser car il est prévu de la couvrir de bottes de paille également. On évite ainsi tous les lattis habituels pour accrocher des tuiles. Des pannes resserrées (petites poutres dans le sens du toit) et garnies de volige à l'intérieur (planches de bois non rabotées et à bas prix) conviennent mieux à la méthode choisie. Ce montage est réalisé en quelques heures.

ImageImageLes bottes de paille, issues d'une ferme voisine, sont badigeonnées de chaux avant leur pose dans les murs et sur le toit, ceci pour les préserver des insectes, des rongeurs, des champignons et de la moisissure, ainsi que pour aider à une meilleure accroche des enduits. Ensuite de simples tôles ondulées recouvrent le toit, des planches brutes habillent les murs et protègent la paille des intempéries. Rien de plus simple, rien de plus discret aussi et c'est ce que Jipé voulait. Sa garçonnière est improvisée et il tient à ce qu'elle conserve l'allure d'une cabane pour ne pas être classée comme habitation.

À l'intérieur pourtant, l'équipe de Jipé a le souci de l'esthétique et des finitions. Le plafond est garni de rabanes, ne serait-ce que pour continuer à employer le plus de matériaux naturels possible. Et surtout, l'épais enduit de sable et chaux de l'intérieur de la pièce est soigneusement appliqué entre les colombages restés visibles. C'est vraiment très réussi.

ImageL'entourage des fenêtres est cadré de planchettes coupées dans des palettes usagées, et cirées par la suite. Ces fenêtres sont belles, enfoncées dans des murs très épais. Elles ont un peu trop tendance à servir d'étagères, il est vrai, et c'est dommage car, avec un simple bouquet de fleurs ou un photophore, leur profondeur et leur teinte bois en font des éléments décoratifs indéniables.

    

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ImageEn 2006, la garçonnière prévue à l'origine n'est pas encore terminée. Jipé a passé la main à son petit frère. Il faudrait qu'ils s'y remettent tous ensemble pour installer la cuisine et la salle de bains prévues. Mais chacun vit ailleurs à présent et le petit frère est seul à avoir besoin de ce lieu. Finira-t-il les aménagements ? Posera-t-il les tranches de bois saucissonné en guise de revêtement de sol et qui prennent la poussière derrière un carreau ? On aimerait voir le résultat, certainement très beau.
 
L'idéal serait de continuer à faire au moindre des moindres coûts, juste pour le sport, en suivant l'idée de départ. Car un record pourrait être institué. En effet, jusque-là, Jipé n'a déboursé que 450 euros, dont une porte vitrée neuve. En se débrouillant bien, le budget total peut tenir sous les 1000 euros, soit dans les 30 euros du mètre carré. Qui dit mieux ?


Ah oui ! Jipé précise qu'il faut rajouter le budget bière durant ce mois de travaux : il fut d'ailleurs plus élevé que celui de la construction elle-même !

ImageQuant au poêle, c'est le prêt d'un ami, et il chauffe presque trop de toute façon. Dans une maison aussi isolée, il faut un tout petit poêle en rapport. Au départ, il était question de transformer une bouteille de gaz de 13 kg en poêle à bois. On enlève la bille, on souffle dedans à l'air sous pression pour évacuer le gaz qui stagne. À la disqueuse, on découpe un trou rond en haut pour le tuyau et une porte au milieu (ou bien on le fait faire). On soude la porte sur des charnières et le tour est joué : un poêle de la bonne taille pour quelques euros. Et pourquoi faire sortir le tuyau d'évacuation des fumées juste au-dessus ? En le faisant remonter incliné au long du mur, il réchauffera la pièce sur toute sa longueur. Pleins d'astuce ces gars-là, nous vous disions...

 

Et que fait donc Jipé aujourd'hui ? Eh bien, le voilà engagé dans l'aventure de la naissance d'un écologîte, tout près de là. En fin de compte, il a laissé ses études pour se consacrer principalement à l'écoconstruction. Et il nous propose de découvrir ses dernières réalisations.

ImageAu passage devant la maison de sa mère, nous trouvons Xavier sur le toit, en train de poser des capteurs solaires. Il termine le travail commencé la veille avec les stagiaires de l'association Héol. En effet, les Baronnet et leurs amis proposent des week-ends de formation pour la création de capteurs solaires thermiques destinés à l'eau chaude de la maison. Les participants ont ainsi pu contribuer à la fabrication, en bonne partie à partir de matériels et matériaux récupérés, de ces panneaux solaires de technologie avancée, à raison de 600 euros le panneau. C'est quatre ou cinq fois moins que les panneaux crédidimpotisés par l'État... Pourquoi payer plus ? Et, de surcroît, ces panneaux sont les seuls qui poussent le souci écologique assez loin pour être isolés à la laine de mouton plutôt qu'à la laine de verre ou à la mousse de polyuréthane. Merci Héol, et que tous ceux qui veulent chauffer de l'eau avec le soleil viennent faire un petit stage à Moisdon. Même en couchant à l'hôtel le plus cher du coin, ils seront super-gagnants.

Nous suivons Jipé qui pilote sportivement son camion sur les petites routes du bocage. De zigs en zags, nous parvenons à un hameau de schiste noir, niché dans les haies, à peine sauvé de l'abandon par Maud et ses amis qui le restaurent et le transforment en gîte écologique (taper "ecologite" dans Google et vous tomberez sur leur site). L'endroit est sauvage, à l'écart du monde. Les bâtisses groupées s'enfoncent dans le sol herbeux, seulement séparées de courettes et de ruelles.

ImageLes bâtiments étaient dans un sale état, en ruines ou presque, mais une fois encore, le cœur de Jipé à l'ouvrage change tout. Petit bout par petit bout, pièce par pièce, les travaux avancent et le hameau commence à retrouver une certaine allure. Il a un côté communautaire, les chambres d'accueil donnant sur des jardins, avec leurs portes basses et leurs fenêtres charmantes. Les maisons sont petites, les pièces aussi et Jipé fait preuve d'imagination et d'astuce pour parvenir à caser une douche ou des toilettes dans le moindre recoin.

Le style décoratif oscille entre l'artisanat marocain et les maisons de hobbits. Les matériaux naturels sont partout employés, même s'ils ne sont pas exclusifs. Le mortier chaux-sable est roi, comme joint entre les pierres, en décoration et même dans les douches à l'italienne, c'est-à-dire sans bac, où, incrusté de tessons de miroirs et de carreaux de couleur, il est généreusement ciré (cire brute + thérébenthine + pigment coloré) au point de devenir aussi étanche à l'eau qu'un carrelage ordinaire.

 

 

 

 

 

ImageIci, on n'utilise que des toilettes sèches, et un soin particulier a été porté à l'aménagement des lieux, avec mobilier et lunettes en bois, joli travail d'opticien-ébéniste.

ImageÀ l'heure actuelle et pour quelque temps encore, Jipé se consacre à l'aménagement de ce hameau d'accueil. Fidèle à ses principes, il est devenu un spécialiste de la récup' : il peut même dégotter des palettes en deux mètres de long, fort adaptées à des planchers de terrasse, par exemple. Il sait comment obtenir de la chaux et du sable à prix soldés, etc. Et ce bouillonnement d'idées et de solutions, Jipé les met au service de son groupe d'amis, pour la création d'un lieu original, créatif et respectueux du patrimoine et de la planète.

 

 

ImageNous reviendrons à l'écologîte. Pour constater l'avancement du projet et faire de nouvelles photos. Rendez-vous ici même, sur ce site, d'ici l'été prochain sans doute.

Nous ferons également, un de ces quatre matins, un reportage sur les activités de Marc. Lui aussi se passionne pour l'écoconstruction et les procédés économiques. Aux dernières nouvelles, à Toucy en juillet, il réalisait sa maison enterrée, en rondins bruts, après avoir tenté un abri en terre et pneus recyclés. Un petit groupe de jeunes Bretons intéressants à suivre, n'est-ce pas ?

Le Géant Vert.

Photos de Martine Motte.


 
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