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Alain au solaire du col de Tuilla

Pile à la frontière de l'Aude et des Pyrénés-Orientales, au flanc de la Pelade qui domine le relief des Fenouillèdes, le gîte du Col de Tuilla est, sur la route des châteaux cathares, une étape bien connue des cavaliers.

ImagePlusieurs chemins de randonnée y mènent, surplombant la vallée de la Boulzanne, avec le pic du Bugarach à gauche, suivi des spectaculaires gorges de Galamus, puis de la crête glaciaire où sont perchées les vertigineuses forteresses de Quéribus et Peyrepertuse. Par temps clair, on voit la Méditerranée tout au fond vers l'Est, derrière Tautavel, Maury, le Roussillon. À l'opposé, on parvient, par une piste de cinq kilomètres, à peine goudronnée sur le début, au pied du château de Lapradelle-Puylaurens. Ensuite, on serpente dans la haute vallée de l'Aude, grand rendez-vous du raft et du kayak. C'est le sud du sud, ici, la porte du pays catalan d'un côté, et de l'autre, la vraie montagne avec le Capcir, la Cerdagne, le ski, l'Espagne.

 

ImageEn partant de Caudiès dans la vallée, nous avons traversé des hectares de vignes pour faire halte parfois à l'ombre des oliviers. Sur le petit chemin sauvage dans les gorges de Saint Jaume, nous étions abrités par des buis, des saules, des acacias. Au village entre les abruptes falaises de craie : châtaigniers et pommiers. Ensuite nous avons attaqué un étroit sentier traversant une grande forêt de pins cultivés et quelques magnifiques hêtraies. Tous les étagements de végétations et de cultures en quelques kilomètres seulement, et sept cent mètres de dénivelée.

 

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Tout là-haut, à 900 mètres, une vaste prairie d'estive se découvre au col de Tuilla, encadrée de pointes rocheuses vers les sommets. L'air y est plus frais, plus clair. Parfois, le col domine les nuages, comme un vaisseau, l'océan. Les bois l'entourent, abritant faons et biches, laies et marcassins, renards et blaireaux.


En hiver, la neige isole totalement durant une semaine ou plus le gîte d'Alain Pazzaglia, unique occupant humain du col depuis 1976.

 

 

ImageIl n'avait que 24 ans et c'était les grandes années du retour à la nature. Acquise pour une bouchée de pain, la bâtisse à l'abandon redevint une vraie bergerie. Alain et Camille y ont élevé des chèvres durant plus de dix ans, éparpillant leurs fromages sur les marchés alentour. Alain coupait et vendait du bois de chauffage et, durant les vacances d'été, la maison accueillait des enfants de la ville dont les rires venaient se mélanger à ceux de la famille.

Quelques brebis, trois vaches et une trentaine de juments d'élevage. À l'époque, elles gambadaient libres et inutiles, et ce sont les chèvres, brebis et agneaux dont il fallait s'occuper pour vivre. L'eau provenait des sources et des ruisseaux ; des pluies aussi, stockée en citerne. L'électricité a été fournie, durant plus de vingt ans, par six panneaux photovoltaïque couplés à trois batteries. Autonomie totale dans ce lieu isolé, sauf pour le téléphone que le service public d'alors avait relié sur des kilomètres au prix d'un raccordement standard.

Une vie un peu sauvage, on ne peut plus proche de la nature, libre, du haut de ce perchoir ouvert la nuit sur les étoiles, et, le jour, sur l'un des plus beaux panoramas existants. Une vie secouée en 1987 par le décès de Camille dans un accident de la route, une vie qui passe et change encore.

 

ImageAlain ouvre un gîte d'étape pour les cavaliers en randonnée. Il aménage une écurie, quelques chambres, équipe la vieille bâtisse d'une grosse chaudière à bois, fait la cuisine, etc.

Le bois, il le trouve à volonté tout autour, aussi bien comme combustible que comme matériau de construction. Des plantations de douglas approchent de la maturité, des pins, un peu de châtaignier qu'il suffit de porter à la scierie pour disposer de poutres et de planches. Alain devient, peu ou prou, charpentier et autoconstructeur.

 

 

Hélas, il y a cinq ans, la chaudière s'emballe durant une absence et les aménagements prennent feu. Tout est à refaire. Et c'est bien l'activité principale d'Alain aujourd'hui : reconstruire son lieu d'accueil. Depuis l'incendie, il a aligné douze mille heures de travail sur son chantier. Les remboursements de l'assurance ont financé les matériaux et l'installation de la nouvelle chaudière à bois, assez puissante pour un bâtiment devant recevoir une vingtaine de personnes. On arrive au bout du projet, encore quelques fenêtres, un plancher... La dernière ligne droite avant réouverture.

 
ImageAlain prend la vie comme elle vient, sans se précipiter, mais il est tenace. Il continue à faire son bois, à élever des chèvres et quelques chevaux qui se cachent à l'ombre de la forêt. Élever des chevaux reste un vieux rêve. Il projette aussi de tracer un nouveau sentier entre les rochers pour atteindre la Pelade. L'endroit le mérite : "Regarde Patrick, juste au-dessus, là. Vous pourrez redescendre en suivant la crête jusqu'à Aiguebonne de l'autre côté. Ce sera magnifique, tu verras."

ImageAvant de passer à table tous ensemble pour un pique-nique, nous rendons visite aux animaux de la bergerie. Alain répond gentiment à toutes nos curiosités.

Nos pas nous conduisent ensuite sur la grande esplanade où se dresse le long chapiteau berbère pour les grandes occasions. De là, la vue est exceptionnelle et les réceptions mémorables.

 

 

ImageDe retour au gîte, Alain va chercher une bonne bouteille de muscat conservée au frais, et nous versons nos sacs de victuailles sur les tables à l'ombre. En tartinant des sandwichs, je le questionne au sujet de sa nouvelle installation électrique. En effet, pour la création du gîte, le raccordement au réseau d'EDF s'élevait à soixante mille euros (dont la moitié de main d'œuvre) pour quatre kilomètres de ligne, tandis qu'une installation photovoltaïque de puissance suffisante revenait à la moitié de cette somme.

Ni une, ni deux, et c'est ce qu'espérait Alain, il fut décidé de créer une station autonome. Avec l'aide des collectivités locales, Alain n'a presque rien déboursé, à peine dix pour cent du budget total. La création de la mini-centrale a pris trois bonnes années, le temps que le dossier suive son chemin. Pour la mise en œuvre, pas moins de quatre entreprises différentes sont intervenues.

Au final, le toit de la bergerie supporte 14 mètres carrés de panneaux photovoltaïques. Selon les caractéristiques, ceux-ci fournissent 28 fois 85 watts, soit plus de 2 kilowatts, ce qui permet d'utiliser une machine à laver le linge en même temps que le grand congélateur, ou bien un aspirateur et une perçeuse. Mais pas tout cela en même temps très longtemps sans vider les batteries. Celles-ci stockent 24 fois 800 ampères, ce qui représente une belle capacité. Le matériel électrique et les batteries sont sous clef, dans un local très bien fait, avec armoire de contrôle, régulateurs, onduleurs et transformateurs. Du travail de professionnels, impeccable.

ImageAlain paie son électricité à  notre compagnie nationale comme vous et moi, une consommation estimée et modeste, dans les 300 euros par an. Parfois, il reçoit des factures d'abonnement et des rectificatifs qui ne correspondent pas au contrat qu'il a passé. Faut suivre ! Tout le monde s'y perd, c'est un peu trop inhabituel encore.

EDF se charge de l'entretien, en principe annuel. Récemment, Alain a entendu une alarme et vu un voyant rouge s'allumer au tableau. Après deux ans et demie, ce fut donc la première intervention. Ah oui : il manquait un peu d'eau dans les batteries ! Depuis, tout est redevenu normal.

 

ImageAlain a choisi d'autres alternatives dans sa façon de vivre. Il gère un compost dans le jardin. Il nous a aussi fait visiter ses toilettes sèches, bien confortables, cachées dans un bosquet d'arbustes en surplomb du panorama.Image

 

Le pique-nique se termine et nous allons reprendre notre petite rando vers la forêt de Boucheville, le col de Boire et retour à Fenouillet durant l'après-midi. Le plus beau : les hêtraies et les échappées vers la mer.

 

Merci Alain de nous avoir reçu à l'improviste à ta table et de nous avoir laissé découvrir ton lieu de vie et d'accueil, si naturel, autonome et préservé, là-haut, au col de Tuilla.

 

Août 2006

 
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